Attention, bipèdes méchants.

>>Les rayons chauds du soleil perçaient difficilement a travers la voûte d'épine de la pinède et seul quelques tâches de lumière éclaboussaient ça et là le sol recouvert d'aiguilles mortes. Un mulot trottinait tranquillement dessus, évitant ces tâches, comme persuadé que dans l'ombre il était invisible. Mais le problème, c'est que justement, les prédateurs qu'il cherchait à éviter connaissaient l'ombre mieux que personne. Elle était leur monde et leur vie.

Soudain, une forme fauve jaillit de derrière une racine et bondit, toutes griffes dehors, vers l'animal qui eut à peine le temps de réaliser le danger qu'il était mort. La forme fauve se trouvait être une chatte au pelage brun roux étonnament ras, qui à présent assise, léchait la fourrure ébouriffée de son poitrail. C'était bien sûr Etoile Fauve, la meneuse du Clan de l'Ombre. Le mulot n'avait donc aucune chance. Ces chats là vivaient dans l'ombre, toujours tapis dans l'obscurité, pas aussi rapides que le clan du vent, pas aussi bon grimpeurs que le Clan du Tonnerre, pas très bon nageurs comme ceux de la Rivière, mais de loin les félins les plus silencieux de la forêt.

Etoile Fauve, leur meneuse, était de haute stature, on constatait aux assemblées qu'elle mesurait a peine un demi gland de moins qu'Etoile Sanglante. Ses yeux verts luisaient doucement, toujours clairs et vifs, brillants comme deux billes de jades au milieu de sa tête triangulaire et ses grandes oreilles ne manquaient jamais un son. Et surtout pas ces tremblements indiscrets et lourds, provenant de derrière elle. Des pas, absolument pas silencieux, qui faisaient craquer les aiguilles et amenaient avec eux une odeur que les chats sauvages connaissaient bien. Un Bipède. Non, deux.

La femelle fit volte face et se retrouva museau a nez avec deux bipèdes au pelage bleu vif. Ils portaient des longs batons, avec des espèces de toiles d'araignées au bout. Des filets. Et ils la fixaient.

-Tu as vu la taille de celui là ?-

-Ouais. Une fois j'en ai vu un noir, aussi, énorme, avec des yeux rouges. Mais celui là doit être a peine plus petit.-

-On va avoir du mal a le choper alors...-

La chef ne comprenait absolument rien a leurs sons, trop forts et trop confus. Elle ne parlait pas le bipède, mais lorsque ces deux là s'avancèrent vers elle, elle comprit immédiatement qu'elle n'était pas en sécurité. Rabattant ses oreilles en arrière, les pupilles dilatées, griffes sorties, Etoile Fauve se plaqua au sol et découvrit ses longues canines blanches en crachant.

-Il est méchant en plus !-

La femelle ne comprenait rien, ça l'agaçait de plus en plus. Elle avait envie de leur dire de se taire, mais elle ne pouvait pas et se contenta donc de reculer encore, doucement. Un bipède s'avança encore et abattit son filet en hurlant, la manquant d'un poil alors qu'elle partait comme une balle pour s'éloigner du danger. Tandis qu'elle courait, elle croisa, eberluée, un lapin lancé à toute allure, puis un chat. Trop vite. Elle sut seulement que c'était un félin, et qu'il allait droit vers les bipèdes. Freinant en catastrophe, elle se mit à crier :

-PAS PAR LA ! IL Y A DES BIPEDES !!!-

Des cris résonnèrent au loin, les bipèdes se remettaient a hurler. La meneuse fit volte face et revint sur les lieux a la suite de son congénère et se figea. Le félin, plaqué au sol, faisait face aux deux hommes, coincé entre les racines d'un pin.

>>Le sang d'Etoile Fauve se glaça dans ses veines. Son ex-apprentie ! Le bipède la tenait la tête en bas tandis qu'elle se débattait en crachant furieusement.

-COEUR TACHETE !!!-

Gonflant son poil brun roux, la meneuse feula d’un air menaçant et sortit ses longues griffes. Tant pis pour sa propre peau. Les bipèdes étaient dangereux et elle risquait gros, mais elle avait neuf vies et elle les donnerait toutes si il le fallait pour sauver la jeune guerrière.

Ses yeux verts brillaient de rage, elle paraissait encore plus grande, en posture de combat. Et elle bondit. Ses puissants muscles se tendirent tandis quelle sautait toutes griffes dehors, sur celui qui retenait Cœur Tacheté, le faisant vaciller. Elle mordit le pelage bleu, arrachant un cri a l’homme, mais fut soudain tirée en arrière par le cou. Elle tenta de s’agripper avec ses griffes au premier bipède, mais sans succès. L’autre la tenait fermement, suspendu en l’air, indifférent a ses cris et sas gesticulations. Se retournant contre son agresseur, elle s’agrippa au bras de ce dernier et entreprit de déchiqueter le pelage, et de lacérer la peau. Les deux bipèdes hurlaient, la meneuse voyait flou. Elle fut projetée dans les air et heurta un arbre avant de tomber entre les racines, le souffle coupé. Cherchant Cœur Tacheté du regard, elle vit le bipède l’emmener dans un monstre garé non loin. Poussant de nouveau un feulement, elle se releva en chancelant et courut vers les bipèdes.

-Elle est complètement tarée, celle-ci ! Tue là.-

Le second bipède sortit un long objet noir et brillant, une sorte de branche très droite et creuse. Il la pointa vers elle.


Un claquement assourdissant retentit et la femelle fut projetée en arrière, tombant sur le flanc. Elle n’entendait rien, sa vue était brouillée. Elle entendit Cœur Tacheté appeler, mais ne parvint pas a se lever, elle vit une tâche rouge s’élargir sur son flanc, sa tête retomba au sol.

-Cœur…Cœur Ta…cheté…tiens bon…-

Sa vision se brouilla encore, tout devint noir. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle se trouvait aux quatre chênes. Etoile Tigrée, son ex-mentor, se tenait là.

-Bienvenue, Etoile Fauve. Tu as perdu ta première vie.-

Etoile Fauve mit un petit temps a comprendre, puis son corps fut parcourut d’un frisson.

-Je suis morte ? Non…non ! Il faut que je revienne, ils vont enlever Cœur Tacheté !-

-ça ne devrait pas tarder, ton corps est bientôt apte a
recevoir ton esprit de nouveaux.-

-MAIS JE NE PEUX PAS ATTENDRE !-

-Tu as bien su attendre avant de devenir guerrière, avant de nommer Cœur Tacheté guerrière, tu peux bien attendre un peu. De toute façon, c’est terminé. A bientôt, Etoile Fauve.-

-Je n’espère pas !- Lança cette dernière.

Mais elle se trouvait déjà dans la pinède, couchée dans les aiguilles. Bondissant sur ses pattes, elle chercha la jeune guerrière du regard. Rien. Plus de bipèdes, plus de monstre, plus de Cœur Tacheté. Rien.