Baptême

>> Le soleil se couchait. Ses rayons rouges inondaient d'une lueur sanglante une vaste clairière entourée d'épais taillis de ronces et d'aubépine, infranchissable. Le camp de l'Ombre.
Ici et là, des félins s'activaient dans la fraîcheur qui commençait à tomber, en même temps que l'obscurité. Les guerriers terminaient leurs repas, ou bien faisaient leurs toilettes, les petits étaient déjà endormis dans la pouponnière, permettant aux reines de sortir prendre l'air et discuter entre elles. Et les apprentis chahutaient devant leur tanière, sauf un. Un imposant mâle noir et blanc, de la taille d'un adulte, doté de magnifiques mais froids yeux oranges.
Au centre du camp, il y avait un rocher. Au centre du rocher, vers la base, une fissure masquée par un rideau de lichen qui s'agita doucement lorsqu'une femelle a la fourrure brun-roux en sortit. Haute sur pattes, le corps fin et élancé, les oreilles grandes et dressées bien droites sur sa tête, les yeux d'un vert pâle pénétrant...On ne pouvait que reconnaître la noble silhouette d'Etoile Fauve, Chef du Clan de l'Ombre.
La femelle leva les yeux vers le ciel et avisa le soleil qui descendait sur l'horizon, baignant son visage de ses rayons carmin. Puis elle ramassa sur elle même sa puissante musculature et, d'un seul bond, sauta sur le promontoire. Assise bien droite, de toute sa hauteur, sa silhouette se découpant sur le ciel violet, elle attira l'attention de tous les félins avant même d'avoir parlé. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas tenue là, au dessus de son Clan. Peut-être que, parce que pour la première fois depuis longtemps, tout allait bien.
Il y avait des petits en bonne santé à la pouponnière. La saison des feuilles nouvelles était là, les proies revenaient et le froid partait. Mis a part l'éternelle querelle entre la Rivière et le Vent, pas de tensions particulières. Et ce soir, le Clan de l'Ombre accueillait dans ses rangs un nouveau guerrier.

-Que tous ceux qui sont en âge de chasser s'approchent du promontoire pour une assemblée du Clan.

Etoile Fauve regarda les félins affluer vers le promontoire, la queue dressée en signe de curiosité. Cœur Tacheté sortit de la pouponnière, les apprentis s'approchèrent en courant (sauf le bicolore), son lieutenant vint s'asseoir au pied du promontoire, le guérisseur se plaça à côté de lui et les guerriers s'assirent tout autour. Tous arboraient de belles fourrures brillantes, de solides muscles et des yeux vifs. Le Clan de l'Ombre allait bien. La meneuse planta ses yeux dans ceux de l'apprenti au regard topaze et lui fit signe de s'approcher, puis entama les paroles rituelles.

-Moi, Etoile Fauve, chef du Clan de l'Ombre, j'en appelle à nos ancêtres pour qu'ils se penchent sur le destin de cet apprenti. Il a travaillé dur pour comprendre vos lois et acquérir l'étoffe d'un guerrier. Il est maintenant temps qu'il le devienne.

Elle marqua une pause. Elle savait que Cœur Tacheté la regardait, en train de faire de son apprenti un guerrier. Toutes les deux avaient contribué à la formation de Nuage d'Ebène. Aujourd'hui, elles étaient toutes deux récompensées.

-Nuage d'Ebène, promet tu d'être loyale au Clan ? De le défendre au péril de ta vie s’il le faut et de respecter le code du guerrier ?

Le félin acquiesça. (Oui, dsl, mais bon tu vas pas dire non ^^)

-Alors, par les pouvoirs qui me sont conférés par le Clan des Etoiles, je te donne ton nom de chasseur. A partir de maintenant, tu t'appelleras Océan d'Ebène. Nos ancêtres n'oublierons ni ta persévérance, ni ton courage, et nous t'accueillons dans nos rangs en tant que guerrier à part entière. Cette nuit, tu veillera en silence sur le camp.

Etoile Fauve sauta au bas du promontoire et posa son museau sur le front d'Océan d'Ebène. Le Clan se mit a acclamer le nouveau guerrier et, le coeur gonflé de fierté, la meneuse joignit sa voix aux leurs. La clameur s'éleva dans le ciel sombre tandis que la première étoile s'allumait.

« …Ouii, Œil de Pierre m’a dit que je deviendrais bientôt guerrier avec mon potentiel….
-Oh tu dois être extrêmement doué Nuage de Braise, moi Plume de faucon m’a juste dit que c’était bien…. »

« - Mon Ebène.. Mon Ebène à moi.. »

« - Je t'aime. »

[Un peu court, désolé]

« Je… »

« Je t’aime, Ma Tacheté. Je t’aime et pour toi j’irais chercher la lune. Pour toi je serais toujours là. Pour toi. Rien que pour toi. Rien que pour Patte Brune. Rien que pour nous. Rien que parce que je t’aime. Je t’aime depuis toujours. Je t’aime et je ne laisserais plus rien se mettre entre nous. Pour toi Ma Tacheté.»

>> Deux félins au centre de la clairière. Deux guerriers, qu'Etoile Fauve avait entraînés. Deux chasseurs pleins de vie. Qui s'aimaient.
Etoile Fauve soupira. Enfin ! Depuis le temps que ces deux là se tournaient autour, il était plus que temps qu'ils s'avouent leurs sentiments mutuels. Et enfin, Cœur Tacheté s'était lancée. Que son amour lui ai répondu contre les règles, ça n'était pas trop grave. Et puis personne même pas la chef, n'avait entendu ce qu'il lui disait. La jeune femelle semblait comblée, le museau perdu dans le pelage d'Océan d'Ebène. Sa chef était heureuse, elle aussi. La guerrière avait son âme soeur, un petit adorable, elle avait remonté la pente. D'ailleurs, en parlant de Patte Brune...
La meneuse tourna brusquement la tête en apercevant une paire d'yeux jaunes à l'entrée de la pouponnière. Le petit de son ex-aprentie se tenait là, assis entre les ronces, le regard fixé sur le nouveau couple. Plein de rage. Ce regard, d'une couleur différente cependant, lui rapellait Coeur Tacheté, quand elle était apprentie et que la colère incendiait régulièrement ses prunelles. Le même feu pâle brûlait en ce moment dans les yeux de Patte Brune.

>>Il n'avait pas le droit. Il était trop jeune. Il ne chassait pas. Il était sensé dormir a la pouponnière. Mais comme c'était un chaton, il n'en faisait qu'à sa tête. Il était sorti. Enfin, presque, puisqu'il se tenait juste à l'entrée de la pouponnière. La queue enroulée autour de ses petites pattes, il avait suivi attentivement la cérémonie, contente. Il était heureux parce que Océan d'Ebène était heureux. Il aimait bien Océan d'Ebène, parce que Maman était toujours contente quand elle le voyait, alors si il rendait Maman contente, il était sympa.
Sauf que là, ça n'allait pas du tout. Coeur Tacheté faisait un câlin à Océan d'Ebène, et elle lui avait dit "Je t'aime". Elle avait dit je t'aime à quelqu'un d'autre que Patte Brune. Elle n'avait pas le droit. Et lui non, plus, il n'avait pas le droit. Il n'avait pas le droit de lui voler sa Maman. Déjà qu'il n'avait pas de Papa, alors si en plus il perdait sa Maman, il allait se retrouver tout seul. Il ne voulait pas. Il était jaloux. Terriblement jaloux. Maman était tout pour lui, il ne voulait pas la partager. Parce qu'il en perdrait une moitié, qu'Océan d'Ebène prendrait. Evidemment, il était trop jeune pour comprende que sa mère pouvait être sa Maman et l'amour d'Océan d'Ebène en même temps. Le principe de multifonction, il ne connaissait pas. Il ne voyait plus un ami et un modèle dans Océan d'Ebène, le guerrier icolore n'était plus qu'un sale voleur qui voulait prendre Coeur Tacheté pour lui, profiter tout seul des câlins et des "Je t'aime". Certes, Patte Brune réagissait peut-être excessivement. Mais il était jeune.
Tremblant de rage, le jeune félin ne put s'empêcher de pousser un minuscule feulement, à peine audible en raison de son petit gabarit. Il en avait marre d'être planté là, Maman allait bientôt revenir et à coup sûr elle serait accompagnée d'Océan d'Ebène. Patte Brune se dirigea donc "discrètement" vers la sortie du camp, le pelage hérissé et les sourcils froncés. Juste avant de passer l'entrée, il fut souleva du sol, un félin l'avait saisi par la peau du cou. Crachant furieusement (et ridiculement), Patte Brune se mit a se débattre comme un asticot, ses mini-griffes tentant d'atteindre celui ou celle qui l'avait retenu.

-Fshhh ! Lâche moi ! Laisse moi tranquille !

« Patte Brune, regarde moi. Je ne cherche pas à te voler ta mère. Je ne chercherais jamais à te volé ta mère. Parce qu’elle est tout ce qui te reste. Elle est à celle à qui tu t’accroches. Elle t’aime et elle t’aimera toujours. Jamais je ne me mettrais entre cet amour. J’ai eu une mère aussi, tu sais. Elle est morte pour me sauver. Et je ne cherche pas à la remplaçait. Donc dit toi bien que, jamais je ne me mettrais entre toi et Cœur Tacheté. Jamais je ne lui dirais de choisir. C’est ta mère, elle a besoin de toi comme tu as besoin d’elle. Alors ne me déteste pas, Grand chasseur. Ne laisse pas la haine t’aveuglait. Je serais toujours là pour toi, même si tu ne le désires pas. »

[Navrée, c'est court, je sais --']

>> Patte Brune ne répondit pas immédiatement. Il fixait droit dans les yeux, le guerrier bicolore sur qui portait sa haine. Le chaton ne savait si il devait le croire. Il voulait le croire, mais...Il était jaloux, d'une jalousie extrême, une jalousie qui le rendait inquiet. Il avait peur, comme tout les chatons, d'être abandonné. De perdre sa mère. Il n'avait pas de papa dans le Clan, et d'ailleurs, il n'avait pas un père respectable, a écouter les reines de la pouponnière. Il n'avait ni frère, ni sœur. Il n'avait pas de copains, puisque les autres ne faisaient pas attention à lui, ou le méprisaient, refusant de jouer avec lui. Il était le plus jeune de la pouponnière en fait. Il n'avait que sa mère, et il avait la sensation de la perdre. Donc il perdait sa protection, sa vie, sa lumière.
Océan d'Ebène n'avait plus de maman. Pendant un instant, Patte Brune éprouva de la compassion envers le nouveau guerrier, puis une hypothèse se forma dans sa petite tête. Une hypothèse idiote mais qui tenait la route, pour un petit de deux lunes et demi. Océan d'Ebène voulait remplacer sa maman. Il avait vu que Coeur Tacheté était une mère formidable et voulait la même.
Non, ça n'était pas ça. Océan d'Ebène venait de le dire. Et il venait aussi de dire que Maman l'aimait et l'aimerait toujours. Cette pensée rassenera Patte Brune et son pelage s'applatit un peu.
Maman avait besoin de lui autant que lui d'elle, elle l'aimait, c'était certain. Le jeune félin ne pouvait en douter. Mais alors pourquoi l'avait-elle dit à Océan d'Ebène ?

-Oui mais...

La gorge du mâle brun se serra brusquement et il rentra la tête dans les épaules, ses petites oreilles plaquées en arrière. Ses yeux jaunes, cadeaux de son abruti de père inconnu, se remplirent de larmes.

-Si Maman t'aime...Est-ce qu'elle ne va plus m'aimer ? Chacun son tour ? Moi j'ai pas de Papa...Et à la pouponnière, quand je fais semblant de dormir...Les autrs mamans, elles disen des choses...Pas gentilles...Maman, c'est la seule qui m'aime !

Il n'était jamais qu'un chaton. Et un chaton, quand ça a peur, ça a deux solutions. Soit ça va se blottir contre Maman et ça passe, soit ça pleure. Patte Brune se mit à pleurer.
Si jamais sa mère ne pouvait plus le protéger et l'aimer ? Si il se retrouvait tout seul, au milieu des regards et des discussions indiscrètes le présentant comme "Sangs mêlés", "Etranger", "Domestiques" ?

[list]Il observa, impassible, le chaton. Une fureur tel qu’il en éprouvait rarement, monta en lui tel une tornade. Il adorait Patte Brune. Il le considérait comme un membre de sa famille. Le fait qu’il revivre ce qu’il avait vécu était pour lui une douleur insupportable. Chacun avait entendu les paroles du chaton. Les reines avaient commencés à se dandiner légèrement, incapable de cacher leur gène. Il posa son regard sur le chaton et murmura, d’une voix rauque :

« Ils tes traitent d’Etranger ? De Bâtard ? De sang mêlé ? De Domestique ? De tout autre mot qui ne fait qu’augmenter ta haine et ta tristesse ? Ah oui. Ils te traitent de tout ça. Ils se répètent un peu trop à mon goût.»

La haine, de la haine pure et froide brillait dans le regard du beau mâle bicolore. Il se tourna d’un bloc vers les autres. Un grognement sourd sortit de sa gorge. Son pelage se hérissa et ses oreilles s’aplatirent sur son crâne. Il n’avait qu’une envie. Leur hurler. Leur hurler que si un seul osé insulté ce petit, il n’hésiterait pas à les broyer entièrement. L’orange de ses yeux flambait littéralement. Il était rare qu’il montre autant la haine qui se propageait en lui. Il cracha :

« Vous ne croyez pas que vous en avez assez fait ?! Non ? Ça ne vous dit rien ? Vous n’avez pas l’impression de traiter Patte Brune comme vous m’avez traité ?! Vous voulez le rendre aussi haineux que moi ? Vous voulez vraiment le faire souffrir au point de le voir devenir un chat qui hait chaque être qui passe sur ton passage ?! Mais que vous êtes stupides. Vous ne le connaissez pas. Vous ne savez même pas tout ce qui se passe dans son cœur. Oui il n’a pas de père. Oui son père est un chat domestique. Et alors ? Ce chaton a plus de courage dans sa queue que dans vos corps ! Il n’a rien demandé lui. Rien. Alors vous savez quoi ? Fermez là. Fermez là bande d’abrutis. Les seuls qui méritent du respect dans ce clan sont Étoile Fauve, Cœur Tacheté et Cœur de lumière. Alors si l’envie vous prend de rendre Patte Brune aussi haineux que moi, venez me le dire avant. Je serais très heureux de vous réduire en charpie. »

Les plus proches reculèrent, comme frappé par ses paroles. Jamais il n’avait exprimé sa haine aussi publiquement. Il se retourna vers Patte Brune, ignorant les autres imbéciles qui partaient pour certain dans des grognements sourds. Comme-ci cela avait de l’importance. Son regard s’adoucit quand il revient sur le chaton Il lui murmura à l’oreille.

« Cœur Tacheté, elle peut nous aimer tout les deux tu sais. Elle pourrait aimer le monde entier avec le cœur qu’elle a. Mais elle t’aime toi. Et puis moi. D’abord toi. Et puis, sache que même si tu n’as pas de père, moi, je suis là, Grand chasseur. »

>> Un pas en arrière. Ce fut la première réaction du jeune félin. Un mouvement réflex devant l'expression d'Océan d'Ebène. Les yeux oranges du guerrier ressemblaient à deux cailloux tant ils semblaient durs et froids. Et pourtant son visage n'avait pas changé. Puis le mâle bicolore fit volte face et s'adressa aux autres. Ceux qui fixaient Patte Brune avec des yeux étranges, méchants, méfiants. Ceux là. Ils reculèrent presque tous. Bien que le petit ne comprenait pas tout les mots, il comprit l'ensemle. Océan d'Ebène avait vécu ça aussi. Et Coeur Tacheté les aimait tout les deux.

Deux pas en avant. Lentement, le petit Patte Brune vint se planter à côté du grand Océan d'Ebène. Certes, il avait l'air un tout petit peu con, arrivant à peine au poitrail de son aîné, mais au moins il était rassuré. Ses yeux jaunes brillaient de défi tandis qu'il levait timidement le menton pour défier les autres chats. Sa queue en panache levée bien haute, il prit une expression qui se voulait menaçante mais qui ne collait pas du tout avec sa petite bouille et spn gabarit de moucheron anorexique. Tant pis. Et puis avec Océan d'Ebène côté, personne n'allait le toucher. Lorsque le concerné reporta son attention sur Patte Brune, il reçut en retour un petit sourire. Certes, il n'avait pas de Papa, mais il avait un Océan d'Ebêne et Coeur Tacheté. Des Papas, il y en avait partout. Océan d'Ebène, il n'y en avait qu'un. Et Maman, c'était la meilleure. Et les autres...Quand il serait plus grand, il leur montrerait. Peut-être même qu'ils paieraient.

>> Toujours assise sur le promontoire, Etoile Fauve observait la scène. Océan d'Ebène qui rabattait le caquet de la moitié du Clan, Patte Brune qui levait la tête et qui avait visiblement pardonné le chasseur... Un sourire se dessina sur le visage de la femelle tandis qu'elle sautait au sol et dispersait les chats d'un mouvement de la queue. Elle adressa un clin d'oeil à Patte Brune et un salut d'oreilles à Océan d'Ebène, puis alla donner un coup de langue sur le front de Coeur Tacheté.

-Te voilà dans le coeur de trois chats maintenant. Je suis fière de toi, Coeur Tachetée.

Etoile Fauve adressa un sourire a son ex-apprentie, puis fit volte face et rentra dans sa tanière, traversant sans bruit le rideau de lichen. Comme une ombre.